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Nitassinan, ou la terre des Innus

La fin du jour approchant, laissait apparaître une multitude de couleurs. Le vent prenant des allants de tempête, emportait avec lui mes pensées. Assis sur le bord des dunes sableuses créées au fil du temps par les flots incessants des marées, je fixais l’horizon infini qui s’effaçait devant moi.

Là, à quelques mètres, le fleuve Saint-Laurent orgueil du Québec donnait un spectacle unique. Bercé par la grâce de sa puissance, je laissais l’imaginaire courir le long des vagues grossies par le vent, créant de courts instants des dessins, des phrases ou de simples compositions insolites. Ainsi est la magie du Saint-Laurent, ainsi sont les paysages de la Basse Côte-Nord, ainsi sont les habitants de ce pays. Ici, naît un autre monde, une autre vision du temps et de la vie. Ici plus rien n’est comme ailleurs, la vie prend une dimension nouvelle et le voyageur ne peut être que conquis.

Le souffle du vent s’intensifiait. Haut dans le ciel, un groupe de sternes arctiques dansaient dans les courants, glissant et flottant telles de petites flèches blanches et noires. Plus haut encore, les nuages s’animaient, tourbillonnant, semblant se désarticuler sous la force des assauts du vent, qui ne cessait de se renforcer.

Une brusque rafale plus forte que les autres m’obligea à sortir de mes pensées, me faisant reprendre contact avec la réalité climatique. Mai touchait à sa fin. Avec lui le printemps s’installait en douceur, laissant à l’hiver le soin de s’éloigner dignement. En ces lieux, la force du climat impose sa loi et, l’hiver n’est jamais vraiment très loin.

Le froid peu à peu gagnait la rive nord du fleuve. Les arbres frissonnaient sous les impacts des rafales de plus en plus violentes. Le feu après un agréable repas était bien venu. Crépitant, il se couchait sous les assauts du vent. La pluie s’approchait. Elle s’annonçait au travers des toutes premières gouttes qui, telles des éclaireuses précèdent l’orage. Le vent prenait des relents d’hiver, la glace toujours présente par endroit, semblait vouloir revenir au travers des gouttes de pluies. Le feu, dans un ultime effort cherchait à élever ses flammes vers le ciel, dans l’espoir illusoire de percer les nuages et de ramener le ciel bleu.

Les gouttes de pluie de plus en plus nombreuses me poussèrent à gagner mon abri et à laisser le printemps et l’hiver à leurs escarmouches. Le soir vient recouvrir l’espace, comme pour masquer ce spectacle. Allongé dans la tente basse qui me suit partout, j’entendais le chant des vagues, rumeurs venues de l’océan, sous le rythme de plus en plus rapide, des gouttes de pluies qui venaient s’écraser sur mon abri.

La nuit était profonde, noire et remplie de vie. Le chant des oiseaux volant dans les courants avait complètement cessé. Seul, à l’abri dans la forêt d’épinettes noires qui bordent les rives du fleuve, pinsons, geais bleues et mésanges entamaient un fabuleux concert. Le ciel déserté restait seul face au vent et aux nuages.

Sous la faible lumière de ma lampe frontale, des ombres se dessinaient sur les parois souples du tissu, et s’animaient à chaque bourrasque. Sur les pages du livre que j’étais en train de lire, elles se glissaient et apportaient un peu plus de magie à l’histoire.

Le temps passait, la pluie redoublait de violence. La toile était battue par une multitude de gouttelettes qui s’acharnaient mais ne parvenaient pas à passer à travers celle-ci. Le vent quant à lui s’intensifia encore, amenant parfois les arceaux de ma tente à se courber.

Le sommeil sans prévenir me gagna et je me laissais aller, bien au chaud dans mon duvet. Demain serait un jour nouveau, différent et proche à la foi. Des rêves naissaient déjà de cette nuit infiniment sombre. Le silence qui m’entourait, m’accompagna dans cet instant qui précède les songes. Le vent me berçait, des silhouettes s’animaient au grès des images qui naissaient de mon imaginaire.

Le sommeil est venu me trouver après une journée intense, où se sont mêlés images insolites et rencontres fabuleuses, au grès d’un chemin de traverse.

Trois heures du matin, lentement l’astre solaire s’élevait sur l’horizon. Le ciel prenait des couleurs et des reflets oranger. L’Est se colorait, le bleu se mélangeait au jaune, la lumière du jour s’étalait lentement sur l’immensité, le noir rougissait, l’horizon s’éveillait en une traînée couleur arc-en-ciel, sous un ciel aux reflets d’accalmies. Une faible lueur montait vers les étoiles qui doucement semblaient s’effacer, glissant du jaune scintillant vers l’invisible fluorescent.

La vie nocturne abordait le jour naissant dans de petites romances éparses, laissaient les rythmes et les chants ensoleillés lui rendre un hommage mérité.

La rencontre nocturne entre printemps et hiver semblait pour un temps arrêté. Le printemps avait remporté cette joute, se renforçant un peu plus, s’imposant. L’hiver avait rejoint les espaces plus au nord. Un simple répit peut être, le temps de reprendre ses forces, ce soir, ou bien demain, ou encore plus tard, il reviendrait pour reprendre cette danse, en fil de courants aériens, de ballets de sable et d’eau, comme pour rappeler qu’il est encore et toujours là, un peu comme le maître des lieux, lui, qui enveloppe cette partie du monde pendant un peu plus de sept mois.

Le soleil perçait sur l’horizon, au loin, un vol de sternes s’élançait vers une journée nouvelle, dans un ballet majestueux ou s’unissaient chants, danses et figures de styles.

Je sortais lentement de mon sommeil. Je me laissais porter par la multitude de sons qui naissaient de cet infini, de ce fabuleux qu’est la vie. La lumière envahi l’abri de toile, les ombres s’évanouirent doucement, se cachant de la clarté qui épouse et enlace tout ce qui demeure à sa porté. Les couleurs s’unirent, le noir bleuit, l’astre rougeoyant se teintait de jaune. Le Saint Laurent explosait en une luminescence intense, l’eau devient couleur argentée.

Le vent avait totalement cessé et de sa présence, seules les vagues à l’écume blanche nacrée qui venaient mourir sur les berges rappelaient les rivalités de la nuit. Les murmures de l’océan venaient jusqu’à moi, les senteurs marines m’enivraient, l’appel du grand large était si fort qu’il m’était impossible de lui résister. Hors de ma tente, j’humais l’air, remplissais mes poumons de cet apport vivifiant. Les embruns marins me transportaient loin du présent et m’invitaient à un songe éveillé. Un grand bond dans le temps, ce temps si lointain ou vivaient en harmonie des nations oubliées aujourd’hui.

Innu, le nom porte en lui la force de ce pays. Innu, tout un symbole dans ce bout de monde. Innu, une nation nomade de cueilleurs chasseurs, qui parcourait les territoires bien au-delà des limites d’aujourd’hui. Innu, êtres humains tout simplement, des Indiens  pacifiques, respectueux et amoureux de la vie. Un peuple réparti le long du Saint Laurent, sur plus de mille cinq cent kilomètres, vivant de mai à septembre aux abords du fleuve, puis  occupe la forêt et les longues étendues infinies qui conduisent vers le nord, la terre toujours blanche, le territoire des Inuits.

Aujourd’hui, cette nation, comme toutes les communautés amérindiennes du Canada, est réparties dans des réserves, où elles voient devant elles l’avenir s’effacer lentement, en un grand cri silencieux. L’espoir semble avoir disparu. Le rêve a laissé la place au découragement. Trop souvent, l’errance porte une grande partie de la jeunesse entre boissons et autres drogues légères, chemins éphémères de liberté incertaines, qui conduisent trop souvent vers la mort, dans un geste désespéré.

Les yeux fermés, assis sur le sol, il me semblait entendre résonner le tambour et s’élever les chants. Peut être le fleuve garde t-il en secret la mémoire de ce peuple, la mémoire des nation Amérindiennes, comme la terre porte en elle leur passé, leur présent et leur devenir.

Le soleil dépassait doucement le fil de l’horizon, enflammant dans un ballet de couleurs orangées l’espace infini qui s’ouvrait devant moi. La Côte Nord prenait naissance ici, dans cet arc-en-ciel de couleurs et de sons et semblait mystérieuse, libre et insaisissable. Le printemps en cette partie du Québec était marqué par le chant ronronnant des rivières aux allures de fleuves, dont les eaux gonflées par la fonte des neiges et des glaces appelaient à se poser un instant. Ici, plus rien ne ressemblait aux paysages traversés auparavant. Même l’immensité paraissait démesurée dans ce pays sans fin.

La Côte Nord s’étire sur un peu plus de 2000 km, devenant Labrador aux abords de Blan-Sablon. Deux mille kilomètres au rythme du fleuve, des marées et des nuées d’oiseaux. Deux mille kilomètres que l’on parcourt en partie par la route, mais surtout par bateau, lorsque les neiges et les glaces ont déserté les lieux.

Mon voyage commençait vraiment ici. Une sensation de liberté difficilement explicable me poussait à reprendre la route. Un appel silencieux mais si puissant que je me laissais guider et porter par son allant.

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